mardi 22 octobre 2013
Article de Marc Pepper: Le service des soins spirituels en milieu de santé
Voici un article rédigé par Marc Pepper ayant paru dans le numéro du mois d'octobre de la revue Prêtre et pasteur.
De
l’aumônerie au Service des soins spirituels
Il va sans dire que l’accompagnement des besoins
spirituels et religieux a vécu toute une transition et une évolution au Québec
depuis Vatican II. Un peu comme la vie en paroisse et comme la société en
général, l’ébullition des années 60 à 80 fut le réveil d’un nouveau regard sur
le spirituel et le religieux. Un nouveau regard qui, soit dit en passant, est
loin d’être concluant. Ce nouveau regard ne nie pas le passé, ni le travail
accompli par les prédécesseurs, mais il ouvre sur de nouveaux horizons.
D’ailleurs les prêtres et les religieux continuent d’être une présence importante
dans le réseau de la santé.
Donc l’aumônerie est devenue le service de pastorale
qui, pour sa part, est devenu le Service d’animation spirituelle en 2010. D’un
service principalement dédié aux besoins religieux de la clientèle catholique hospitalisée
et hébergée, il est devenu ouvert à toute la clientèle, de toutes croyances et
allégeances. L’approche préconisée est une approche non confessionnelle ouverte
à la pratique confessionnelle.
Le titre d’emploi, quant à lui est passé d’aumônier à animateur
de pastorale et plus récemment à celui « d’intervenant ou intervenante en
soins spirituels (I.S.S.). »
Le nouveau libellé
d’emploi précise le rôle de l’I.S.S.:
« Personne qui exerce des activités de soutien et
d’accompagnement à la vie spirituelle et religieuse des usagers, à leur famille
ainsi qu’à leurs proches. Elle voit à planifier, réaliser et évaluer des
activités d’ordre spirituel et religieux. Elle effectue des visites d’accueil
aux usagers et identifie leurs besoins spirituels et religieux. Elle répond aux
consultations en matière théologique, spirituelle ou éthique, participe aux
équipes interdisciplinaires et apporte un support moral aux familles des
usagers. »
Les associations
ont suivi le pas :
De l’Association des aumôniers du Québec est née l’Association
Québécoise de la pastorale de la santé (AQPS) qui elle a donné naissance à l’Association
des intervenants et intervenantes en soins spirituels du Québec (AIISSQ). Ce
n’est pas qu’au Québec, évidemment, que ce tournant vers le spirituel
s’affirme. L’Association canadienne pour la pratique et l’éducation pastorale
(ACPEP) est devenue récemment l’Association canadienne en soins spirituels
(ACSS). La table canado/américaine de « PASTORAL
CARE » est devenue la table de « SPIRITUAL CARE ».
Comment
cela se vit-il dans le quotidien?
Beaucoup de préoccupations furent exprimées par les autorités
des Églises, au début des années 2000, en lien avec la perception qu’en parlant
d’un Service non confessionnel ouvert à la pratique confessionnelle, les
« pratiquants » seraient privés de recevoir les services religieux
auxquels ils ont droit.
En fait, dans le réseau de la santé, il est
probablement plus facile de recevoir réponse à ses besoins spirituels et
religieux urgents actuellement, qu’il ne l’est dans n’importe quelle paroisse
du Québec. Généralement en moins de 30
minutes, tout besoin exprimé par un ou une bénéficiaire du réseau de santé recevra
une réponse adéquate quelle que soit l’heure. La seule raison pour laquelle un persone
pratiquante ne recevrait pas ces services, serait si l’Église locale ne peut
les fournir au Service (pénurie de prêtres par exemple).
Le travail des I.S.S. se répartie
généralement entre la clientèle hébergée, hospitalisée ou à domicile, que ce
soit en soins physiques ou psychiatriques. Les demandes de consultation pour
répondre aux besoins spirituels et religieux proviennent des médecins ou du
personnel soignant, des familles ou de la clientèle elle-même. Le travail des
I.S.S. est balisé par une formation universitaire en théologie ou sciences des
religions, une formation clinique (stage en soins spirituels cliniques) de 400
heures par stage (2 de base et 2 avancés), des normes de pratiques
professionnelles, un code d’éthique et un code de déontologie qui relèvent de
notre association professionnelle l’AIISSQ. Malheureusement, au Québec il n’y a
actuellement pas d’exigence d’appartenir à une association professionnelle, ce
qui explique que les I.S.S. ne sont pas tous membre de l’AIISSQ. S’il existait
un ordre professionnel, il y aurait une
obligation d’y adhérer pour travailler. Cette obligation assurerait une
meilleure uniformité et une qualité optimale des interventions dans notre
réseau de santé au Québec.
Le Service des
soins spirituels au CSSSNL
Je suis arrivé au Centre hospitalier du nord de
Lanaudière (CHRDL) le 21 juin 1999. J’héritais, en tant que nouveau chef de
Service, d’un Service qui, sous la houlette de mon prédécesseur le père Claude
Fortin, c.s.v., était déjà dans la mouvance d’un nouveau regard sur la pratique
des animateurs et animatrices de pastorale du CHRDL.
Nous avons donc poursuivi ce mouvement, non seulement
en nous arrimant à l’évolution sociétale
du Québec, mais surtout en étant bien à l’écoute des besoins spirituels et
religieux exprimés par notre clientèle. Ce regard lucide sur les besoins
exprimés dictait sans équivoque un renouveau dans notre pratique.
Aussi, en parallèle, de nouvelles règles venaient
baliser nos institutions publiques et nous invitait à un plus grand
discernement par rapport à notre offre de service et la clientèle qu’elle vise.
Par exemple, nous n’avions plus accès aux informations d’appartenance
religieuse; il ne convenait plus de se promener de « porte en porte »
pour offrir les services religieux sans distinguer préalablement qui était
catholique et qui ne l’était pas; la question de la laïcité et du respect des
croyances sans discrimination devenait le mot d’ordre; la mission de répondre
aux besoins spirituels et religieux de toute la clientèle se faisait de plus en
plus pressante.
Il devenait apparent que notre profession, à l’instar
de la société, était en mouvance et
qu’il fallait vraiment s’arrimer à cette mouvance. Pour ce faire, nous avons
ajouté à notre équipe un superviseur enseignant en soins spirituels cliniques
de l’AIISSQ. Celui-ci a la responsabilité d’aider à parfaire la formation
clinique et faire avancer, avec l’équipe, la recherche dans le domaine des
soins spirituels. Notre centre de formation et de recherche en soins spirituels
cliniques offre, annuellement, aux futurs I.S.S. un ou deux stages de deuxième
cycle universitaire. Les stagiaires doivent
posséder au moins 60 crédits en théologie ou sciences des religions dans
leur baccalauréat.
L’AIISSQ, L’ACPEP (ACSS aujourd’hui) continuent d’être
des lieux de formation, de réflexion et de discussion importants.
Qu’en
est-il au juste?
Notre Service de pastorale, essentiellement catholique
d’identité, est devenu le Service des
soins spirituels, non confessionnel mais ouvert à la pratique confessionnelle.
Ainsi nous reconnaissions, à l’instar de l’AIISSQ, de l’ACSS et de la table de
concertation nord-américaine en spiritualité que le temps des Services et des
pratiques uniquement confessionnels était révolu. Le mot clé dans la phrase
précédente est UNIQUEMENT.
Il devenait de plus en plus clair, et nous n’en sommes
pas les instigateurs, que notre clientèle souffrante spirituellement n’accusait
pas toujours une pratique ou même une appartenance religieuse. L’étiquette
catholique n’étant aucunement garant d’une pratique assidue ou même
occasionnelle. « Oui j’suis catholique de baptême, mais ça fait longtemps
que j’ai mis cela de côté. » « Je suis catholique mais non
pratiquant. » « Je n’ai aucune croyance religieuse. » Ces
phrases nous les entendions de plus en plus souvent au cœur de notre quotidien.
Comme cela se reflète en paroisse dans la baisse marquée de la pratique
dominicale par exemple, et comme les études sociologiques le confirment.
Et pourtant il ne fallait pas pour autant conclure que
ces mêmes personnes n’avaient aucun besoin spirituel. Bien au contraire! Et là
était et demeure toujours le défi à relever.
Répondre
à quels besoins?
Notre Service, financé par les fonds publics, a une
obligation de répondre tant aux besoins spirituels que religieux de notre
clientèle.
Nous travaillons en interdisciplinarité
avec les équipes soignantes qui, souvent, nous aident à identifier les
personnes nécessitant le plus notre présence. Dernièrement nous avons complété
une série de rencontres avec le personnel des équipes de soutien à domicile,
pour les CSLC de notre CSSS, afin de les sensibiliser à la dimension
spirituelle et religieuse de leur clientèle à domicile.
Les I.S.S. répondent à des besoins variés
dans des circonstances tragiques,
joyeuses ou même confuses : la fin de vie, la chirurgie, la perte
d’autonomie, la perte d’un bébé, l’annonce d’un diagnostic sévère, l’admission
aux urgences ou aux soins intensifs en situation de crise, en psychiatrie et la
liste se poursuit. Nous sommes appelés en soutien auprès des patients, des
résidents, des proches et du personnel.
Les demandes varient de l’accompagnement spécifique,
défini pour un besoin bien identifié, à un accompagnement non défini d’un mal
être ou un malaise spirituel pour lesquels nos outils d’évaluation seront mis à
profit. Parfois les demandes sont d’ordre religieux, par exemple pour recevoir
les sacrements, pour prier ou pour obtenir un crucifix, une bible, une médaille
ou des images religieuses, ou encore pour demander la présence d’un
représentant d’une Église ou d’une communauté de foi particulière. Avouons,
cependant, que ces dernières demandes diminuent d’année en année.
Sans trop se tromper, on peut dire que le
travail de l’I.S.S. est principalement celui d’accompagner la perte de repères
spirituels et religieux, afin d’aider la personne à retrouver le chemin vers
ceux-ci.
Ces repères s’expriment de plus en plus,
quoi que non pas exclusivement, en
termes non religieux et font appel à des croyances, des philosophies, des rites
et des pratiques divers. Même l’identification et la pratique religieuse, comme
dirait le sociologue et religiologue Réginal Bibby, en est une plutôt hybride.
On ne peut présumer de rien.
L’I.S.S. d’aujourd’hui se doit d’avoir une
belle capacité d’accueil et d’écoute des différences. Nous sommes confrontés sans cesse à des réalités qui
débordent souvent notre propre cadre expérientiel. Nous devons tout de même
intervenir de façon professionnelle, compatissante et efficace. Sans tenter
d’influencer les croyances de la personne pour lui proposer les siennes. Nous
devons donc être bien ancré et bien au clair avec nos propres croyances et
allégeances.
Nous accompagnons la perte de confiance en
la vie, la perte de sens, la colère contre Dieu, le désarroi, le besoin de
pardon sacramentel ou autre, le besoin de rites en fin de vie (religieux ou
non), le besoin d’être entendu dans sa souffrance, le besoin d’être en
communion avec les siens, avec Dieu, avec la vie, avec l’au-delà. Nous
intervenons dans des situations ou notre clientèle souffre de se sentir
démunie, agressée, bousculée et transformée par la maladie, par la souffrance,
par le réseau de santé, par leurs proches, etc….
Évidemment l’I.S.S. a aussi, parfois, le
privilège de vivre des moments de joie, de bonheur et de grâce auprès de la
clientèle. Quand nous célébrons l’arrivée d’un nouveau-né, quand nous prions
avec la famille et célébrons la vie d’un proche qui s’apprête à décéder, quand
notre rencontre a permis de sentir sans équivoque la présence du tout Autre,
même au cœur du drame, cela devient des moments de grâce et des moments de
communion intense.
Voilà pourquoi l’I.S.S. au-delà de sa
compétence théologique, au-delà de sa compétence professionnelle et de ses
modèles d’intervention, doit, avant tout, avoir un cœur de pasteur. Nous devons
nous préoccuper de notre frère, de notre sœur souffrante. Nous croyons que la
rencontre de l’autre nous mène au tout Autre. Notre regard est celui d’un
Samaritain qui s’arrête au passage pour prendre soin de son prochain. Cette
attitude demeure maintenant, comme jadis, un prérequis essentiel pour ce
travail.
Marc Pepper, d.p.
Chef du service des soins spirituels
Intervenant en soins spirituels,
Accompagnateur et professeur pour le Centre le Pèlerin
de Montréal.
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1 commentaire:
Cet article a été écrit à la demande de la revue PRÊTRE ET PASTEUR. Il a été publié dans leur édition d'octobre 2013.
Marc Peppe
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